TANK art space

Discussion menée avec Benjamin Marianne, co-fondateur de TANK art space.

Sur la naissance de…

J’interviens sur le projet de Murmurations sous plusieurs casquettes, j’en suis à la fois à l’initiative, le régisseur, le coordinateur avec Léa Lascaud et j’interviens également comme exposant et programmateur de TANK art space.

Cette invitation à la jeune scène à travers deux volets, celui des project spaces et celui des ateliers d’artistes et collectifs était dans l’idée de renouer la Friche à la jeune scène artistique. Parce qu’en tant que Fræme on a les clefs de la Friche, on a la possibilité d’accueillir cette jeune scène qui elle n’a pas forcément les clefs, les codes et cet accès à ce site. L’idée c’était de renouer les publics, de créer un ou plusieurs grands évènements où on arriverait à rassembler à la Friche avec Fræme, l’ensemble de la scène artistique marseillaise. Parce qu’à cause du Covid et un peu avant avec l’éparpillement de tous les lieux qui ont fleuri partout, cette scène s’est complètement décentralisée. J’avais fait le constat un peu malheureux que les publics ne se croisaient plus. Il n’y avait plus de gros évènements qui rassemblaient. La scène marseillaise n’est pas gigantesque mais il n’y a pas un évènement comme la Fiac à Paris, la Biennale de Lyon qui sont de grands moments d’art contemporain qui rassemblent les publics. L’idée c’était donc de faire ça pendant Art-o-rama et sur plusieurs temps dans l’année avec deux expositions.

TANK art space c’est un run space qu’Amandine Guruceaga et moi-même avons monté. Amandine c’est ma chérie, on est tous·tes les deux artistes plasticien·ne·s. Le projet est né en 2014. Amandine a été diplômée des Beaux-Arts en 2013, nous sommes parti·e·s en voyage pendant trois mois au Mexique puis en Californie, pour changer d’air. On a croisé là-bas des artistes qu’on avait rencontré·e·s pendant Marseille 2013 et retrouvé des artistes ami·e·s installé·e·s au Mexique.

On est revenu revigoré·e·s, nous sommes donc parti·e·s bille en tête pour trouver un atelier/logement assez grand pour pouvoir se remettre rapidement à travailler. Nous avons finalement trouvé un lieu de vie, d’exposition et de travail.

Sur la première exposition…

Pour une exposition qui s’appelait Run run run run away, nous avions invité une dizaine d’artistes plus ou moins issu·e·s des Beaux-Arts de Marseille, une clique de potes. On voulait faire une exposition assez cérémoniale qui rassemblait des œuvres fortes entre sculptures et peintures, toujours centrée sur l’objet et l’œuvre d’art – mais déjà beaucoup sur la sculpture. On a pris énormément de plaisir à faire cette exposition, elle a eu un petit succès local. On s’est structuré·e·s, avons monté une association et continué à monter des expositions.

À ce moment-là, en 2014, il y avait un boulevard pour apporter du nouveau à Marseille, la jeune scène n’était représentée que par peu de lieux. Il y avait la Straat Gallery ou Histoire de l’œil qui existaient depuis les années 2000. On a continué à faire des expositions deux fois par an pour le PAC et pour Art-o-rama. Le souhait était de faire un project space et non pas une galerie d’art commerciale de plus.

Sur la deuxième exposition…

À l’époque on était trois artistes, Amandine, Bruno Sedan et moi-même. J’ai eu ce souhait de faire collaborer trois plasticien·ne·s. On a mélangé nos pratiques pour créer un évènement. L’idée n’était pas de faire une exposition collective sans qu’il y ait de lien curatorial mais d’écrire une narration dans laquelle pourraient s’inscrire trois pratiques différentes.

On a inventé une exposition qui s’appelle The Kaewkovsky Institute Museum pour laquelle on a créé la collection fictive d’un personnage qui aurait vécu au début du XXème siècle et qui aurait traversé toute l’après-guerre et un peu avant. C’est un peu un Indiana Jones de l’art, un personnage qui, à la manière d’un artiste brut, conçoit une collection d’art ethnographique, un cabinet de curiosités. On a essayé de transposer la vie de Jodorowsky, directeur de musée. On a mélangé diverses influences dans un grand patchwork complètement insensé, d’allusions à des cultures complètement opposées : asiatiques, africaines, occidentales, en mélangeant tous les codes de la statuaire, du costume cérémonial, de l’objet magique. En somme c’était un détournement de l’exposition type quai Branly. On l’a montrée pendant le PAC en 2015, c’est la deuxième exposition.

On avait pour l’occasion transformé notre lieu, plongé dans le noir avec une multitude de petits spots pour créer une exposition muséale très théâtralisée. On l’a montrée un an plus tard à la Villa Arson sur une invitation de la Station qui, pour ses 20 ans, avait invité beaucoup de run space à un grand projet d’exposition collective. Pour l’occasion nous avions disséminé les objets de la collection dans différents lieux de la Villa, dans les recoins, comme une non-exposition.

Sur la troisième exposition…

Ensuite c’est un projet qu’on a fait pendant Art-o-rama où on a invité Georges Tony Soll – par l’intermédiaire d’un ami commun – qui avait le souhait de renouer avec sa ville natale. Il a émergé dans les années 80. Il est photographe et peintre, très lié à Marseille où il a fait ses Beaux-Arts. Il est venu nous voir avec un projet assez curieux, il a toujours vécu un manque, s’est toujours rêvé sculpteur mais il est plus doué avec son œil et ses mains pour peindre que pour faire de la sculpture. Il a donc créé toute une série de dessins où il s’est inventé sculpteur, appelée Sculptures raides, il a créé un musée fictif de ses propres sculptures. Des petits dessins de sculptures fantasmées. Ça reliait un projet au médium de la sculpture qui pour nous est le médium que nous voulons montrer en priorité avec Tank.

Il n’y a pas de choix de programmation dessinée, ça se fait vraiment selon les opportunités qui se créent ou quand on décide de les créer.

Sur la quatrième exposition…

Le projet suivant s’est fait suite à la résidence Triangle à Glasgow d’Amandine, où elle a passé trois mois et noué certains liens avec la scène locale. On a pu découvrir le modèle des run space écossais. Ce qui nous a sauté aux yeux c’est la présence d’un tissu très fort et d’un soutien conséquent de la scène locale, nous avons ainsi beaucoup appris sur comment développer la scène marseillaise. Ils sont plus forts que nous à ce niveau-là ! Les jeunes plasticien·ne·s, les jeunes curateur·rice·s peuvent s’impliquer dans la scène locale et ont tous·tes la chance de pouvoir faire la curation d’une exposition dans un run space en centre-ville, dans un grand espace. Ça apporte une fraîcheur, ce n’est pas pour rien que Glasgow a ramené tous ces Turner Prize ces dernières années ! Il y a un effort colossal de la ville pour soutenir ses artistes. Nous sommes revenu·e·s avec l’envie de collaborer avec elleux et créer un projet.

En même temps que le festival de Glasgow – une biennale avec des grands artistes internationaux dans les grands musées, centres d’art et tous les run space – on a monté une exposition qui s’appelle Raoul Reynolds, une rétrospective. L’idée c’était de faire collaborer six artistes issu·e·s de la scène de Glasgow et six de Marseille pour créer un show collectif. On a créé une fiction à douze autour de la création d’un artiste fictif, né un siècle avant qui aurait traversé toutes les avant-gardes. On s’est amusé·e·s avec une curatrice italienne installée à Glasgow, Francesca Zappia, à écrire une bio. On lui a donné une personnalité d’agent secret infiltré dont la couverture était artiste, il peut ainsi voyager librement pour faire de l’espionnage industriel pendant la guerre. C’est pour cette raison que son travail traverse tous les courants artistiques. Il change de visage à chaque fois qu’il change de mission. Les artistes ont joué le jeu et on s’est beaucoup amusé·e·s. On a donc fait une exposition à Glasgow et un match retour à Marseille un an après à la Friche de la Belle de Mai. C’était à 90% de la sculpture.

Sur la tendance à la sculpture…

Pourquoi la sculpture ? Parce qu’Amandine et moi pratiquons la sculpture.

Aux Beaux-Arts de Marseille on a cette chance d’avoir de l’espace, de pouvoir entreposer des matériaux, c’est un lieu où on peut se lâcher sans pression de l’école. On peut tenter des choses et présenter des diplômes comme le mien en 2008 où j’ai présenté une quinzaine de sculptures avec des volumes importants. La salle faisait 100m2 comme si je faisais un show dans un centre d’art. C’est ce qui fait aussi notre problème car pour beaucoup d’artistes qui sortent des Beaux-Arts de Marseille la réalité est un peu dure ! Donc il y a une dynamique importante de la sculpture à Marseille qui s’est développée dans l’histoire des Beaux-Arts de Marseille avec Tony Grand, Richard Baquié, Anita Molinero qui y est pour beaucoup dans cette énergie autour de la sculpture ici.

Pierre Unal-Brunet, Tank Art Space, Murmurations volet I, 2022, à la Friche la Belle de Mai, exposition produite par Fræme

Sur la situation de Marseille auparavant…

Dans les années 2010, Marseille n’était pas une ville d’artiste. Beaucoup de plasticien·ne·s y vivaient mais ce n’était pas un centre attractif, tous·tes les étudiant·e·s partaient de Marseille après les Beaux-Arts. Difficile de trouver des ateliers – une dizaine de la ville. Les lieux d’exposition, les associations présentes depuis de nombreuses années montraient assez peu les jeunes artistes. Aucun avenir possible donc. Ma première année après les Beaux-Arts a consisté à jeter une quinzaine de sculptures que j’avais mis deux ans à faire. Ça passe par un deuil de son travail. C’est un premier acte fort. Ensuite c’est se reconstituer un réseau, essayer de postuler à un maximum de choses pour faire exister son travail.

Dans les années 2010 le fantasme de tous·tes les étudiant·e·s c’était de sortir et d’exposer chez Gagosian, parce que c’était le modèle prédominant durant ces années-là mais la réalité n’est pas celle-ci.

Ce rapport à la carrière a beaucoup changé, il y a moins d’illusions possibles. Avec les réseaux sociaux, les jeunes artistes se rendent bien compte de ce que peut être la monstration et l’existence d’un·e artiste. Avant, tout passait par des médias traditionnels – comme Art Press – et le fait de faire le tour des galeries.

Sur le nom…

Le nom TANK art space est arrivé quand on était aux États-Unis ou au Mexique. J’ai un anglais assez déplorable et en faisant le plein là-bas je comprends que « tank » c’est le réservoir, donc ce mot est resté, l’idée du réservoir créatif, cette masse de création et d’art. Et le côté arme de guerre un peu « bourrin » coïncidait avec notre envie de valoriser la sculpture, des artistes faiseur·euse·s, artisan·ne·s de leur pratique, quelque chose qu’on cherche à défendre.

Sur « l’artiste faiseur·euse »…

L’idée de l’artiste assis derrière son Mac et qui remplit des centres d’art est un peu morte et on en est un peu fier·e parce qu’on pense qu’on y est un peu pour quelque chose.

Voilà pourquoi ce côté artillerie lourde de la création dans notre nom, il s’agit d’artistes qui ne craignent pas de travailler à l’atelier avec une meuleuse, un poste à souder. Dans le même temps c’est l’idée de créer un bouillonnement créatif, de ne plus craindre la forme, et la notion d’artiste faiseur·euse qui était une insulte quand j’étais étudiant.

C’était péjoratif.

Si je me suis lancé dans les Beaux-Arts c’était parce que j’avais envie de faire quelque chose avec mes mains, mon corps et mon esprit, c’est une symbiose de tout ça. Et il ne fallait pas être dans le dessin illustratif, dans la figuration, dans le faire.

C’est amusant de voir que dix ans après c’est totalement l’inverse qui s’opère. Le classicisme du minimal conceptuel s’est fait renverser par un changement de génération, par toute cette nouvelle vague d’artistes qui vient s’installer à Marseille. On sent bien qu’il y a une libération totale de la forme et du faire.

On a pu voir à la Biennale de Venise que c’était une mouvance internationale. Parce que la particularité de la biennale cette année c’est la présence de beaucoup artistes femmes qui renvoie à une énorme vague de libération de la forme et de l’artiste faiseur·euse. Je le vois comme une bonne nouvelle parce que ce qui me gêne principalement dans le dogme minimal conceptuel c’est qu’il repose malgré tout sur des codes de l’économie néolibérale. « Comment avec une idée, un geste minimaliste je peux en tirer le plus d’argent possible ? ». Ce geste-là il ne peut appartenir qu’à très peu d’artistes mais on est des millions à vouloir s’exprimer, vendre notre travail et je pense qu’il y a un fort besoin de démocratisation de la pratique et de la collection. Il faut que beaucoup plus de personnes achètent de l’art, pour ce il faut que l’art soit moins cher, il faut donc stopper la spéculation complètement hallucinante sur certains artistes.

C’est un peu une utopie mais c’est la chose essentielle et je pense que c’est petit à petit ce qui est en train de se produire. Des nouvelles galeries ouvrent où, pour 5000 €, on peut acheter des œuvres. Quand on sortait des Beaux-Arts il y a 10 ans, si on ne vendait pas notre première pièce à 10 000 €, c’est qu’on ne marcherait jamais. Il faut faire bouger les lignes car il n’y a pas la place pour vingt Jeff Koons en France.

Sur le futur…

Il faudrait que j’arrive à trouver du temps. Notre dernier projet Street Trash a pu se faire parce qu’avec Fræme j’avais un contrat à temps partiel, j’ai donc pu me libérer trois mois et Amandine aussi. En tout on a mis trois ans à le mettre en place.

La suite c’est donc de trouver du temps et sortir de la Friche. Avec Murmurations ça fait trois projets qu’on fait à la Friche de la Belle de Mai, donc l’idée serait peut-être de s’étendre à d’autres espaces à Marseille et peut-être à autres choses que des musées d’art contemporain ou le white cube, la ville a un certain patrimoine. Le point positif de Manifesta pour moi ça a été d’ouvrir de nouveaux lieux. C’est plus ce territoire-là qui m’intéresse d’explorer. Toujours dans la filiation de nos projets, s’inscrire dans une narration ou un projet de fiction mais qui s’inscrirait dans des espaces cachés de la ville, des non-lieux d’exposition. Soit il s’agira d’un projet pirate, soit en accord avec la ville. On est ouvert·e·s à toute proposition de collaboration !

Le mot de la fin…

Tout ce que je souhaite c’est que Murmurations, un peu apparu à la dernière minute, puisse un jour se refaire, il y a un souhait je pense à l’échelle de la ville de créer ce port artistique à Marseille. En tant que Fræme et aussi en tant que Tank, c’est à nous d’animer cette scène-là parce que Fræme – étant une association apparue il y a 20 ans avec ce même souhait de faire vivre l’art contemporain – doit permettre de perpétuer ce projet et faire un passage de génération. Pour moi il faut qu’il y ait un volet 3, 4, 5 etc. Continuer à envoyer ce message au reste du monde que Marseille est une ville où il se passe des choses. Sous la forme d’une biennale peut-être, à voir si on arrive à le rendre possible avec la Friche.

Un mot sur la dimension économique du projet. Murmurations n’est pas subventionné, son modèle économique c’est fait au fur et à mesure. Au début il s’agissait d’utiliser l’argent d’un stand sur Art-o-rama, prendre une partie de cet argent qui sert à la production de l’évènement pour imaginer une façon de le réinjecter pour la jeune création de Marseille. Puis de récupérer le bénéfice et le réinjecter dans Murmurations pour pouvoir fournir de la production aux exposant·e·s, mais c’est une toute petite enveloppe qu’on leur donne. On ne pouvait pas ne rien apporter. Mais on a dû attendre de sécuriser un certain nombre d’inscriptions sur Art-o-rama pour pouvoir s’engager de manière solide sur la production de l’évènement. On a bouclé le modèle économique au mois de mars – avril quand l’appel d’Art-o-rama était clos. On a su qu’on pouvait dégager 300 € par lieu. Si on veut refaire ce projet par la suite il faut que l’on trouve un modèle économique plus viable pour pouvoir apporter plus de production ou chercher des subventions.

On va y arriver !

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