Giselle’s Books

Discussion menée avec Lucas Jacques Witz, co-fondateur de Giselle’s Books.

Sur la naissance de…

Giselle’s Books est née dans un moment assez spécifique, c’était en pleine pandémie. Ça a redimensionné toute la sphère artistique, et la manière dont ses producteur·rice·s, ses interlocuteur·rice·s, le public se rencontraient et échangeaient. C’est dans ce contexte-là que Giselle’s Books s’est développée, en ouvrant progressivement des prêts dans la collection de livres que je partage avec Ryder Morey-Weale.

En fait, Giselle est un projet qui est né en collaboration, parce que lorsque l’on était étudiant en école d’art, on souhaitait créer cette entité pour pouvoir travailler ensemble et avec d’autres artistes dont le travail nous intéressait. On travaillait à l’époque en Allemagne tous les deux. Lui travaillait dans une galerie, moi dans une librairie spécialisée et on faisait nos études en France à Toulouse. C’est là que l’on a décidé que Giselle deviendrait l’excuse pour pouvoir rassembler les travaux qu’on rencontrait et qu’on aimait. On a créé une sorte de petit project space et une programmation. Il a duré sept mois ou huit mois, on a fait six expositions de jeunes artistes, et d’autres plus établi·e·s qu’on avait rencontré en déplacements.

Sur le lieu à Marseille…

On a postulé en collaboration pour être dans un programme de recherche en Chine post-diplôme qui s’intéresse à la critique institutionnelle. Ça s’appelle l’école Offshore et c’est un projet qui est notamment intéressé par des initiatives comme Giselle, un espace en marge de l’espace du white cube muséal sûrement parce que c’était un placard d’un mètre carré. On est parti en Chine six mois et à cause du virus qui commençait à se répandre là-bas on a dû rentrer en Europe. C’est là qu’on s’est retrouvé à Marseille dans un espace qui était assez large pour se permettre de se projeter sur une programmation. Ça laissait pas mal de possibilités quant au développement.

Étant donné qu’on était en pleine pandémie, que les interactions sociales ne pouvaient pas se faire en contexte de vernissage ou à l’extérieur, il y avait une omniprésence des médias digitaux et plus généralement de l’écran. On a décidé alors de mettre en place Giselle’s Books qui serait comme une sorte de grosse bibliothèque où les gens viendraient en prenant rendez-vous. Du coup venir emprunter des livres permettait de sortir de ce truc aliénant d’être tout le temps sur son téléphone ou son ordinateur, non seulement en se déplaçant mais aussi en revenant à une activité de lecture « analogique » : un livre définit un espace-temps spécifique. Il y a une première de couverture et une quatrième, il y a un début et une fin. Ce qui n’est pas forcément le cas du défilement vertical sur écran.

À ce même moment, la plupart des expositions qu’on voyait étaient aussi des reproductions d’expositions qu’on interprétait à travers les écrans, des visites virtuelles. On voulait dévier ça et inciter les gens à aller vers des contenus qui soit physiques, imprimés.

Assez naturellement, on a ouvert Giselle’s Books en septembre 2020.

Sur la sélection des ouvrages…

Le fond était largement constitué avant qu’on ouvre parce j’ai travaillé en librairie spécialisée à Berlin plusieurs années. La majeure partie de ce qui était là étaient des ouvrages qui avaient été collectés auparavant. La quasi-totalité est en langue étrangère. C’est important parce que je pense que de la même manière que le premier espace montrait et propageait le travail de personnes qui ne travaillaient pas dans la localité, ici à la bibliothèque ce sont des contenus en langue étrangère. Les fonds d’acquisition publics sont, pour des questions d’accessibilité, généralement dédiés à des contenus en langue française. Et les publications qui ont trait à l’art sont de petits tirages or les mécanismes institutionnels d’acquisition ont beaucoup de mal à tenir la cadence de ces petits tirages qui sont parfois des séries limitées à 300 exemplaires. Pour l’acquisition des bibliothèques et des fonds publics il faut compter entre trois et six mois, il faut faire des devis, qu’ils soient validés etc. Du coup la plupart du temps les livres sont déjà épuisés chez l’éditeur. C’est un espace de la scène éditoriale qui est relativement difficilement annexable par les fonds publics.

Depuis qu’on a commencé on doit avoir 500 titres en plus. De la même manière, le projet s’est développé au sein d’une sphère qui est quasi intime – puisqu’on l’a inventé avec mon partenaire – au départ c’était beaucoup d’ami·e·s dans la programmation de l’espace. C’est lié à une économie de moyens, iels venaient, dormaient chez nous, et puis en même temps on les exposait à la fin, c’était un peu comme des vacances. Ça a pas mal impacté la manière dont on a continué l’acquisition des ouvrages, finalement assez conviviale et plutôt comme une sorte d’historiques d’itinéraires et de découvertes.

Les paramètres d’acquisitions sont venus une fois qu’on a formalisé le projet basé sur la collection préexistante. Au début on s’est dit qu’on avait envie – étant donné que le fond était largement constitué d’œuvres visuelles donc de livres d’artistes – de s’ancrer dans un pan plus textuel. On a donc orienté les acquisitions plutôt sur du texte – parce qu’il y avait aussi cette dimension sociale au projet qui devenait une sorte d’espace de rencontre et de dialogue donc on voulait que ce soient des choses dont on puisse parler, des livres avec du contenu. On a acheté de la poésie et de la théorie, des choses qui pouvaient être discutées. Au fur et à mesure ce sont des suggestions des membres de la bibliothèque, des rencontres, un truc assez convivial aussi de ne pas vouloir trop développer de rigueur avec la manière dont on collectionne et dont cette accumulation se produit.

Sur le nom…

Giselle c’est le prénom du projet de base, quelque chose qu’on voyait très bien grandir entre nous et qui allait évoluer, avoir sa propre vie au bout d’un moment. On souhaitait incarner cette dimension vivante ou organique du projet en le personnifiant.

C’est aussi un hommage à une ancienne voisine qui était une sorte de pivot entre les habitants de la rue. Au moment où s’est créée Giselle, l’espace était un placard dans les communs d’un immeuble d’habitation devant lequel tout le monde passait. Elle a permis d’échanger beaucoup avec les voisin·e·s. Tout le monde avait toujours des questions sur ce qui allait se passer etc., c’est devenu un dispositif communicationnel.

All the Books vol II, Giselle’s Books, Murmurations volet I, 2022, à la Friche la Belle de Mai, exposition produite par Fræme

Sur ce qui est présenté dans Murmurations #1

Pour Murmurations, on n’avait pas statué sur la méthodologie qu’on allait mettre en place quand on se fait inviter à l’extérieur. Le projet est vraiment relié à son aspect domestique, à sa domesticité, à la manière dont tu accueilles les gens quand c’est chez toi etc. Ça s’est déjà posé auparavant avec Artagon Marseille, où on était résident.

Pour l’inauguration, on a produit le volume 1 du récolement de l’ensemble du fonds de la bibliothèque sous forme éditée et on a fait un fanzine en 100 exemplaires qui le classait sous forme de catégories. Il y avait poésie, livre d’artiste, fiction, non-fiction, magazines, écrits d’artiste etc. Toutes ces catégories-là sont venues organiser les milles et quelques livres qu’il y avait dans le fonds à cette époque-là.

On s’est demandé quelle réponse donner à ce genre d’invitations qui sont sur le territoire d’action de la bibliothèque, sachant qu’on a une exposition au même moment qui est ouverte. On s’est dit qu’il fallait qu’on fasse le volume 2 de cette publication appelée All the Books. C’était déjà pensé comme étant quelque chose qui allait être une série parce que ce qui est intéressant dans le fait qu’on soit des artistes qui faisons cette bibliothèque c’est de réinventer les outils de bibliothécaire qui sont très rigoureux, parfois pas très créatifs. L’un de ces outils c’est le récolement et la manière dont tu crées un inventaire. On s’était dit à cette époque-là qu’il fallait qu’on le fasse de manière évolutive et non « formatable ». Chaque nouveau classement va s’ajouter à la manière dont étaient classés les livres auparavant et il n’y a pas de système de formatage de la donnée. C’est une façon de montrer comment on avance et évolue en gardant les versions antérieures.

On produit ici la deuxième version de All the Books qui s’intéresse au hasard pour classer et récoler l’ensemble du fonds. C’est un poster à double face avec le côté blanc pour tous les livres qui sont tombés après les avoir jetés sur face (couverture) et le côté noir pour ceux tombés sur pile (4ème de couverture). On avait envie que ça tranche avec l’aspect plus rigoureux du premier volume et on souhaitait plus d’aléatoire. On trouvait bien que ce soit un objet qui puisse être pris, comme on l’a fait pour Artagon, et qui fonctionne comme une invitation à venir voir l’espace, qu’il y ait aussi une liberté de réception liée à la taille de l’écrit et à sa sobriété.

Sur le futur…

J’imagine que le projet va se développer de la manière dont il a toujours fait c’est-à-dire de manière assez organique et prolifique. Ça ne fait que deux ans qu’on est implanté, on essaie de mettre en place une programmation qui identifie clairement ce qui nous intéresse.

On a des projets personnels à côté qui prennent beaucoup de temps : Ryder est artiste, moi je suis commissaire d’exposition. Je pars en mission très prochainement soutenue par l’Institut Français pour aller à Portikus, Francfort donc il n’y aura pas d’expositions à la bibliothèque avant 2023.

Quand on a trouvé ce lieu avec un bail commercial de 6 ans, on s’est dit qu’on allait faire un projet qui corresponde plus ou moins à cette durée… après advienne que pourra ! En 6 ans je pense que tu es relativement circonscrit à ce que tu peux faire quand tu es un project space, soit tu continues à faire des expos soit tu arrêtes.

Les collectivités territoriales mettent quelques années à comprendre ce que tu fais et à te faire confiance pour te donner de l’argent donc tu peux avoir un peu d’argent pour faire quelques projets ponctuellement. Pour les subventions de roulement c’est encore plus long donc je pense que les gens s’essoufflent assez rapidement dans ce genre de circonstances.

Il faut avoir de l’énergie en tout cas et de l’envie.

Le mot de la fin…

Read you soon.

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