Cabane Georgina
Discussion menée avec Jeremy Chabaud, co-fondateur de la Cabane Georgina.
Sur la naissance de…
La Cabane Georgina ça a 25 ans, c’est une ancienne histoire. Nous ne savons plus très bien comment et quand ça a commencé. C’est né dans un quartier spécifique de Marseille, le Chemin du mauvais pas, à côté de la Madrague de Montredon, un quartier populaire, très joli et très typique de Marseille.
D’un point de vue culturel « classique », il n’y avait pas grand-chose là-bas, bien que pour nous, se baigner, randonner, pratiquer l’escalade ou de la plongée, fait partie de ce qui nourrit un savoir vivre, l’âme et sans doute l’art. J’avais une maison/atelier et nous y avons invité plein de monde qui au fur et à mesure ont construit une histoire. Maintenant ça s’est transformé en saga ! Au départ c’étaient plus des résidences d’artistes avec des expositions temporaires ouvertes sur le quartier. Au fur et à mesure c’est devenu de plus en plus relié à d’autres lieux. On est surtout lié à l’association Jeune Création dont on est devenu une antenne à Marseille et peut-être le futur siège social.
Moi j’ai plusieurs casquettes, je suis par exemple, à la fois directeur de Jeune Création et je m’occupe de la cabane avec d’autres personnes, et d’autres choses dans l’artistique et le social. Il y a donc un groupe de fidèles qui chaque année revient et on construit les expositions comme une saga. Il y a des acteur·rice·s récurrent·e·s à la fois réel·le·s – les artistes qui proposent leur travail et dont l’histoire évolue – et des personnages qui se créent, des histoires qui s’inventent et qui sont partagées avec les voisin·e·s ou avec tout le monde.
Chaque année il y a un chapitre qui s’ouvre, qui porte un titre et se découpe en épisodes. Cette exposition proposée pour Murmurations « Chemin du mauvais pas sur la rose » c’est un des épisodes du 10ème chapitre de la saga de la Cabane Georgina. Il va y avoir plein de petites expos qui vont se balader dans Marseille, ici, à la Galerie du Tableau etc. Le chapitre global s’appelle « Mexico, Émile Zola, Georgina et nous ». L’année dernière c’était « Abrakadabra ». Ça ne fait que 13 ans que c’est en chapitres. C’est une exposition au long cours.
Dans la cabane, il y a à peu près une centaine d’artistes qui sont présenté·e·s. Ici pour l’exposition Murmurations à la Friche, il y a trois artistes principaux Camille Santacreu, Noemie Pfeiffer et Matthias Depardon et ensuite ce sont tous·te·s les artistes qui ont été résident·e·s dans la cabane, un peu plus d’une vingtaine qui forme un orchestre.
Sur le fonctionnement de la cabane…
Un chapitre ça raconte des histoires, cette année ça raconte pourquoi Georgina, pourquoi Mexico, pourquoi Émile Zola, ce que l’on aime. Pour nous l’art n’est pas séparé de la vie. Le système marchand des galeries n’est pas une fin en soi, même si on travaille avec – comme Thaddaeus Ropac qui a montré une grand respect et générosité pour notre association, en nous offrant trois cartes blanches dans sa galerie de Pantin. Ils nous invitent, on y curate des expositions. Pour nous les artistes ce sont un peu des shamans, des passeur·euse·s.
Pour Murmurations un ancien président de Jeune Création est présent sur le mur : Paul Rebeyrolle – qui est mort. Il était président de l’association en 1953. C’est un grand peintre français, extraordinaire de puissance critique sur les paradoxes du vivant et des excès de l’humanité capitaliste.
L’idée est de mélanger plein de générations. Donc il y a des artistes mort·e·s, parce qu’on nous fait des dons, des prêts, ou on fait des échanges entre artistes. On a une collection très importante de 2000 pièces. Mais on ne se dit pas centre d’art. On a des pièces de Fromanger, Rebeyrolle, Buren etc. Ici il y a quelques pièces qui appartiennent déjà à la collection. L’important est de ne pas figer l’art, une œuvre doit vivre, circuler, jusqu’à se patiner et s’abimer, ce n’est pas grave nous en referons. Les artistes sont malin·e·s.
Dans les artistes qui deviennent récurrent·e·s de la cabane, chacun·e se voit proposer et offrir la responsabilité d’une planète. Il y a un rituel d’intronisation où on donne une planète. Il y a le grand « Mamamouchi » de l’année, à qui on met la couronne sur la tête. C’est elle ou lui qui va être l’instigateur·rice des jeux et réjouissance du chapitre en cours. Karl Mazlo, acteur de la Cabane, est le joaillier des 32 planètes actuelles. Parfois, quand on est tous·te·s là, on convoque les planètes.
La liberté et la folie nous permettent parfois de permettre la visite des expositions à poil ou presque. Comme chez Thaddaeus Ropac, où la présidente de l’association nous avez confectionné des petites tenues performatives, multigenres.
L’exposition s’ouvre toujours sur une grande paella géante à déguster. Chacun sort ses tables dans la rue et après on va tous se baigner dans la mer qui est juste en bas.
Sur la saga…
Il y a plein de parcours. Ça a commencé à la Cabane le 19 juin, puis à la Friche, ensuite il y a la Galerie du Tableau avec un premier duo entre Ludivine Gonthier et Ivan Messac. C’est un ancien de Jeune Création qui a 74 ans (l’âge de l’association Jeune Création). C’est une star de la peinture, très politique et engagé. Il présente sept lithographies. L’idée c’est d’avoir un·e ancien·ne et un·e jeune artiste, Ludivine, qui a 24 ans et termine les Beaux-Arts. Il y a trois murs, et on va faire un mur avec Ludivine, un avec Ivan et un mur mélangé.
La Galerie du Tableau c’est la plus ancienne galerie marseillaise. C’est fou que la ville et les acteur·rice·s locaux ne lui aient pas encore rendu hommage ! Chez Bernard Plasse il y a je ne sais pas combien d’artistes qui sont passé·e·s en 30 ans ! C’est minuscule : 16m2 ! Sa galerie a été reproduite à l’échelle 1 à New-York. Nous on l’a refait à Paris au Centquatre, on s’était bien marré.
Et il y aura trois duos en réalité, Ludivine Gonthier – Ivan Messac, ensuite dans quatre semaines ce sera Karine Bedjidian et Paul Rebeyrolle – une belle peinture de Rebeyrolle – et ensuite c’est Julia Gat et Émile Zola avec des photos prises par lui, car il était écrivain mais aussi passionné de photographie.
Après il y aura des petites fêtes à la Cabane, la paella, des repas mexicains, des petites performances ici qu’on va activer, il y aura une série de performances à Montrose, après c’est à Paris à l’espace Niemeyer. Tout ça fait partie du 72ème festival Jeune création.
L’idée de ces événements, c’est qu’ils soient comme des poupées russes. Chaque fois qu’on présente une œuvre, c’est pour ouvrir une porte de téléportation vers autre chose qui se déroule ailleurs. On crée des circulations, des parcours à Marseille, mais aussi en France et à l’étranger. Si tu vas sur le site de Jeune Création ou de la Cabane Georgina tu vas avoir les pérégrinations antérieures. Avec Jeune Création on essaie de retisser des liens avec les ancien·ne·s, avec toute la génération des artistes qui ont 70 – 80 ans.
La Cabane c’était mon atelier au départ, donc c’est très affectif, je m’en suis un peu détaché. Il y a de plus en plus de monde, énormément d’artistes qui y sont passé·e·s.
Sur le choix…
La Cabane Georgina c’est plus de la cooptation. On ne veut pas travailler avec des artistes qui ont la grosse tête, il faut qu’iels soient au diapason et à l’échelle de l’ambiance et capacités du lieu.
On essaie de poser des questions : à quoi sert de faire de l’art, est-ce que ça a remplacé la religion, est-ce qu’on est des shamans, des charlatan·e·s, qu’est-ce que l’égocentrisme des artistes, quelle valeur d’échange l’art a dans le monde d’aujourd’hui, mais pas que dans le sens monétaire etc.
Je déteste ce mot « commissaire d’exposition », cela sonne faux. Encore le terme anglais « curator », prendre soin, mais c’est quand même galvaudé parce que ça met un aspect « conservation ». Or l’art au départ n’était pas dans une démarche de conservation. L’art est dans un élan de vie, de puissance, d’échange, de connexion au monde et de représentation du monde que ce soit par l’abstraction, la figuration, la performance ou autre, peu importe.
Aujourd’hui il faut qu’il y ait des reconnaissances pour les artistes, de pouvoir, de place, qu’il y ait un statut global de l’artiste qui soit mis en place. Pas de rémunérations ridicules. Jamais ils n’arriveront à construire un système pérenne en pensant qu’ils vont faire valoir leur droit en réclamant des droits d’auteur sur une publication de catalogue. C’est ridicule, il faut être payé à l’acte (cela dépend par qui et pour qui). Le statut global de l’artiste en se regroupant avec l’intermittence est une des solutions pour plus de souplesse. Tu vas chez le dentiste, tu as mal aux dents, on te fait un soin. Tu es artiste tu poses le temps passé et tu es rémunéré·e, ou cumule des heures pour ouvrir des droits. Il y a trop de disparités entre celleux qui captent tout parce qu’iels sont bon·ne·s pour les réseaux, iels sont filou·te·s et iels ont la personnalité qu’il faut pour et tous·te·s les autres. Mais nous on est tous·te·s milliardaires dans l’association, donc on a de la chance !
Sur le nom…
Il faut lire l’histoire pour comprendre pourquoi. On a fait la cérémonie en hommage à Georgina le 19 juin. C’est quelqu’un qui était présent au départ, qui a soutenu le lieu, l’expérience.
Elle existe cette Georgina même si son nom n’est pas tout à fait celui-là, c’était Georgette. Mais elle voulait qu’on l’appelle Georgina. Donc c’est devenu la Cabane Georgina pour garder sa mémoire. Il y a plein de fantasmatiques sur Georgina, certains pensent que c’était une grande milliardaire qui était là comme donatrice au départ, il y en a qui pensent qu’elle est encore vivante, il y en a qui pensent que c’était un personnage de fiction, d’autres pensent que c’est moi parce que j’ai déjà pris des pseudonymes féminins pour écrire des textes. Ça dépend des degrés de connaissance.
La maison était toute petite, on y a monté un étage où il y a trois chambres. L’idée c’est que lorsqu’il y a des résidences ils peuvent en faire ce qu’ils veulent. Quand il y a des expositions c’est dans un lieu de vie de tous les jours. Les gens rentrent dans un endroit où quelqu’un peut sortir de la douche, manger ou prendre son café. On avait proposé pour Murmurations de mettre un lit de camp et qu’on dorme là de temps en temps mais c’est compliqué pour un lieu d’exposition avec contraintes comme à la Friche. Habiter les lieux c’est important, même en étant nomade, car pour nous c’est un espace de téléportation ici.
Sur le futur…
Envie que ça continue d’ouvrir des portes de téléportation, des rencontres initiatiques entre les publics divers et les univers des artistes. Par le hasard ou les indices qu’on laisse comme ici, les gens pourront nous retrouver et faire partie de l’aventure.
La maison étant au bord de l’eau elle n’existera peut-être plus dans 50 ans, on sera peut-être sous l’eau. On a de la marge, il doit y avoir 10 mètres mais bon !
Ensuite que les gens continuent de se l’approprier, que le quartier ne devienne pas bobo et reste vivant, avec à la fois une certaine rudesse et délicatesse. Qu’il y ait toujours ce même rapport à la mer et à l’environnement, et que ça puisse permettre à des jeunes qui ne connaissent pas l’art, par les ateliers qu’on fait, de s’ouvrir à d’autres univers.
Au départ les habitant·e·s nous ont vu arriver comme les fadas du quartier.
On l’est toujours mais ils sont un peu fadas avec nous maintenant !