SOMA

Discussion menée avec Muriel Bourdeau, directrice et co-fondatrice de SOMA.

Sur la naissance de…

Le projet SOMA est né d’un désir de créer un lieu. Les fondateurs, Julien Herrault et moi-même – tous·tes les deux artistes, avions envie de créer un lieu qui puisse allier des programmations artistiques, un espace de recherche et d’expérimentation – avant d’être un espace de diffusion d’œuvres – à un espace de convivialité et de rencontre. L’idée et la question du décloisonnement sous-tendent l’ensemble du projet ; nous avons par exemple, fait le choix de rendre l’espace modulable par l’utilisation de cloisons mobiles qui peuvent s’ouvrir – ou se fermer – sur l’espace du Cours Julien.

Sur ses mutations…

Nous avons ouvert le lieu il y a trois ans, années rythmées par les péripéties des travaux d’abord et du Covid-19 ensuite ! Mais la pandémie nous a permis d’investir le lieu d’une manière tout à fait inattendue. À l’origine, un atelier se trouvait à l’étage, à la manière d’un lieu de recherche. Dans le même temps il ne nous paraissait pas simple d’investir le rez-de-chaussée , de faire cohabiter les différentes activités du lieu, d’autant plus que notre modèle économique est autonome, que le bar finance l’ensemble des activités de SOMA pour l’instant, y compris la rémunération des artistes.

Pendant le confinement en effet, ayant dû fermer le bar, la dynamique de l’espace a été modifiée et a donné énormément de force au projet artistique – pour notre plus grand plaisir ! La totalité du lieu a ainsi été saisie par les artistes. Iels ont pu prendre davantage de place dans le lieu au regard de ce que nous avions projeté à l’origine. Iels l’ont mobilisé par la création, ainsi que par cet esprit de recherche et de tentative. Durant cette période nous avons redécouvert l’espace, son architecture et son énergie. C’était très agréable !

Sur « une grande question »…

Une grande question nous accompagne, celle de la nécessité. Nous voulions réussir à payer chaque artiste en partant d’iel et en imaginant des solutions circonscrites autour de son désir et de l’urgence qu’iel pourrait avoir. Cette idée de nécessité nous a accompagné dans la pensée du projet, elle est très liée à un esprit de carte blanche, c’est dans ce sens que le lieu a été très influencé par la présence des artistes.

Sur les possibles…

En effet, lorsque l’on accueille des artistes, les moyens financiers sont les mêmes pour tous·tes. Quant au matériel, notre parc technique est très restreint. En revanche, nous essayons de rendre tout possible dans le lieu. On part du principe que chaque invitation est l’occasion pour l’artiste d’investir tous les espaces. Ainsi, en quelque sorte, on ré-invente et redécouvre à chaque fois le lieu. Certain·e·s artistes ont fait des performances dans le bar, d’autres ont seulement exploité l’espace du haut de façon très confidentielle, d’autres ont investi la totalité du lieu. Il y a donc cette tentative que tout soit possible, dans la mesure où le ou la résident·e suivant·e pourra disposer des mêmes possibilités que celui ou celle qui le ou la précède. Cette possibilité, cet état d’esprit contrebalancent avec le peu de moyens techniques à disposition – bien que nous nous débrouillions toujours grâce à notre réseau d’ami·e·s pour déployer techniquement les moyens nécessaires à la mise en œuvre des projets activés.

Au fur et à mesure l’espace est réellement devenu un lieu d’exposition – notamment au regard de la position de SOMA sur le Cours Julien qui est un endroit très vivant et central – et non plus seulement un espace dédié à la recherche.

Sur le choix…

Je ne choisis pas un projet, je choisis un artiste. Une fois que l’artiste est en résidence iel active ce qu’iel désire dans le lieu avec les moyens que l’on peut déployer. Par exemple, un des artistes a lu pendant trois semaines. Lors de sa sortie de résidence, il a créé un temps fort en mettant en place une soirée en programmant différents amis artistes dont les démarches répondaient à la sienne. Pour moi sa proposition était aussi valide que celle d’une artiste qui proposa une exposition. Ce positionnement, ne pas choisir un projet, mais choisir un artiste, lui signifier que « tout est possible, dans la mesure du possible », nous permet de découvrir le lieu sous une nouvelle perspective lors de chaque résidence. Finalement, cela donne au lieu un côté très plastique.

Humainement, il s’agit de se détacher de la validation du produit final ; porter un jugement esthétique est une démarche qui à mon sens n’a que peu d’intérêt. En tant qu’espace de recherche, il s’agit plutôt de s’ouvrir au maximum à la nécessité et à l’urgence de l’artiste, à son cheminement. Si un·e vidéaste a une urgence de faire une performance de danse, cela me touche. Permettre à chacun·e de sortir peut-être de sa zone de confort est possible pour un lieu comme le nôtre car nous sommes un lieu intermédiaire, j’entends par là que nous ne sommes ni une institution, ni un squat. Cet espace intermédiaire est savoureux, confortable et protecteur pour la tentative : un enjeu précieux. Il ne s’agit donc pas de valider un projet mais plutôt d’accompagner et de favoriser l’expérience.

Bien entendu, il y a également des artistes qui elleux-mêmes arrivent avec un projet très précis pour SOMA. C’est un espace spécifique, qui du fait de sa situation, est visité par de nombreuses personnes qui ne sont pas de l’art contemporain. Il y a donc quelque chose dont il faut se saisir par rapport à l’énergie du Cours Julien mais ce n’est pas une demande de ma part. Dans ce sens, l’équipe de SOMA essaie surtout de s’impliquer en tant que regard extérieur, d’être présente dans des échanges avec les artistes.

J’essaie d’être témoin bienveillant.

Je suis très fière de tous·tes les artistes que j’ai invité·e·s ces deux dernières années. J’ai jusqu’à maintenant fonctionné au coup de cœur et ça marche bien ! Nous avons également de bons retours, et faisons énormément confiance aux artistes. Il y a de la fidélité à SOMA – c’est très touchant – les artistes passé·e·s en résidence reviennent voir ce qui s’y passe. C’est très important pour nous.

En réalité je me sens très artiste et en empathie avec les désirs et la façon de travailler de l’artiste. Je me considère comme un pair, bien plus que comme curatrice, ou programmatrice. Cette position participe à définir le lieu je crois.

Il semble que peu de lieu ont cette intention-là, fondatrice à SOMA – en tant qu’artistes, nous avions besoin de requestionner l’objet, la production, l’implication et l’intimité dans l’œuvre. Mais également les notions de processus, de parcours, de démarche… Nous souhaitions aussi créer un espace parenthèse dans les parcours des artistes accueillis.

Même si comme tout le monde je n’attends que de prendre des grosses claques avec ce qu’il se passe à SOMA. (rires)

Ben Saint-Maxent, SOMA, Murmurations volet I, 2022, à la Friche la Belle de Mai, exposition produite par Fræme

Sur la rencontre…

Julien ne fait plus parti de SOMA, il est parti il y a un an mais il reste fondateur, nous avons fait ce projet à deux. Nous nous sommes rencontrés au Centre National de Danse Contemporaine d’Angers durant une formation de chorégraphe. Il s’agissait d’une formation adressée à des plasticien·ne·s, des musicien·ne·s, des danseur·euse·s, et toutes personnes questionnant le corps et sa représentation.
SOMA signifie le « corps » en grec – un aspect très important dans notre travail.

À l’origine nous pensions d’ailleurs que SOMA n’accueillerait que de la performance et des pratiques tournées autour du corps mais finalement il s’agit aussi de « présence ». Il est important de pouvoir échanger avec l’artiste, quand iel recherche etc. Parfois iel a juste besoin de s’asseoir, de parler, de boire une bière avec quelqu’un qui a aimé son exposition, il s’agit donc aussi de créer cet espace-là. En réalité ce travail et ce rapport avec le corps renvoie à la question d’être là en corps, physiquement et d’investir l’espace avec son énergie et sa présence. La boucle est bouclée entre l’espace de recherche et de convivialité.

La première artiste, Kubra Khademi a tellement bien joué le jeu, qu’elle nous a donné confiance. Elle était d’une extrême générosité, elle s’asseyait, parlait avec tout le monde – il y a un panel large d’individus qui fréquente Cours Julien, du bobo au moins bobo – elle avait cette forme de générosité, cette capacité à ouvrir son travail, à en discuter, à raconter ses histoires – une vie très riche, très dure, très dense. Quand nous avons constaté la façon dont cette résidence se déroulait, cela a complètement validé notre intention. Il est important de favoriser cette possibilité d’entrer en contact avec l’artiste pendant qu’ellui-même est dans une période de recherche. S’iel le désire bien sûr, ce n’est pas obligatoire. Il y a des personnes plus ou moins sauvages.

Sur le nom…

Nous surlignions les mots forts de notre dossier, de notre charte, ceux qui ressortaient… Puis on les traduisait, on les assemblait etc. SOMA nous a paru évident, nous avons trouvé ce mot très beau, facile à retenir. C’était aussi à l’origine de ce que l’on souhaitait faire, beaucoup de nos intentions pouvaient se résumer dans ce mot. Après quelques recherches Google des références se sont ajoutées. Mais à l’origine nous avons tout simplement traduit le mot « corps » en grec.

Sur le futur…

L’énergie se concentre sur l’obtention de subventions. Après notre première année complète (sans fermeture due au covid), les possibles sont devenus plus clairs au regard de l’autonomie financière que l’on a réussi à développer. À SOMA, nous sommes tous·tes couteaux suisses, donc peut-être s’agit-il désormais de parvenir à davantage spécialiser l’équipe, mieux les valoriser, mieux payer les artistes aussi. Personne n’est en souffrance mais il est temps que l’on prenne un peu d’aisance – on travaille beaucoup.

J’ai aujourd’hui un désir secret – parce que nous n’y avons pas réfléchi concrètement – d’un festival qui va de pair avec l’aspect expérimental du lieu. L’idée serait d’inviter des artistes, de programmer – sans doute de façon collégiale, en co-construction – des invitations précises, sur des pièces précises et aussi d’avoir le plaisir de revoir tous·tes les artistes qui sont passé·e·s à SOMA.

Il se passe beaucoup de choses que je n’avais pas envisagé à SOMA, il y a quelque chose qui s’ouvre qui n’est pas désagréable mais cet aspect expérimental ne nous permet pas de dessiner une identité de façon consciente, bien qu’une identité se dessine clairement sans que nous le contrôlions, si j’en crois les retours.
Un temps fort donc, sur quelques jours, ou notre travail serait de présenter des œuvres, de construire un regard conduit et maitrisé… j’y pense, même si ce n’est pas quelque chose avec laquelle je suis très à l’aise ! Nous avons déjà mis en place un festival de musique expérimental (qui va se pérenniser d’ailleurs) et cela avait été très bien accueilli par le public.

Donc, pour le futur, plus d’argent et plus d’identité peut-être !

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