MUFF – Marseille Underground Film and Music Festival
Discussion menée avec Ève-Mélissa Traoré, membre de la collective porteuse du projet.
Sur la naissance de…
MUFF est un collectif de personnes qui gravitait autour du festival LUFF à Lausanne (Lausanne Underground Film and Music Festival). Ce sont des personnes qui fréquentaient des lieux alternatifs de Marseille – Embobineuse, Videodrome 2, Data – et qui ont eu l’envie de créer un festival indépendant autour de propositions sonores et visuelles de marges artistiques.
À partir de 2016 ces personnes-là ont décidé de créer une association qui s’appelle « MEUF » productrice de ce festival.
Sur la 1ère édition…
Il y a eu une première édition en 2016. L’idée était de déployer une programmation de longs et un appel à films de courts autour de films expérimentaux, de genre, cultes, ainsi que des propositions de l’ordre de l’art vidéo. Parallèlement, venait s’ajouter une programmation musicale autour de pratiques expérimentales, de la noise aux musiques électroniques technoïdes jusqu’à des pratiques performancielles du son.
Après cette 1ère édition on a décidé de continuer l’aventure, parce qu’on on a eu de bons retours des artistes invité·e·s et des lieux partenaires. Il faut savoir qu’aujourd’hui le festival est encore autogéré et autofinancé, il repose beaucoup sur le travail des bénévoles et sur le soutien des lieux partenaires.
Nos lieux partenaires sont Videodrome 2 et l’Embobineuse – nos deux lieux QG – mais aussi Data, et Soma dernièrement, nous avons pu proposer des projections avec le cinéma les Variétés, le cinéma le Gyptis.
Sur la 3ème…
Notre 3ème édition, en 2018, fut importante pour nous avec plus d’une dizaine de films, un appel international à films, des workshops, une exposition, et plus d’une dizaine d’artistes invité·e·s pour les concerts et performances.
Cette édition fut beaucoup de travail en tant qu’équipe bénévole. À ce moment-là on a réalisé qu’il était plus opportun de faire le festival sous forme de biennale, pour nous laisser le temps de pouvoir répondre à des propositions de cartes blanches, autant cinématographiques, de festivals nous invitant à présenter un film, qu’artistiques, autour d’expositions et que musicales autour de projets que l’on produit.
La 4ème…
On a préparé notre 4ème édition en 2020, avortée à cause du Covid, qui a demandé à l’équipe de se remobiliser sur le sens de son projet, la façon de le mener, de le présenter à ses publics. Avec la petite économie qu’on avait – parce qu’on avait de belles ambitions pour cette édition – on a décidé quand le contexte le pouvait, d’étirer la programmation de cette édition pour revenir de manière ponctuelle jusqu’à ce que la vraie possibilité de faire un festival puisse se faire.
et la 5ème…
À ce jour on est en train de travailler notre 5ème édition. La 4ème édition n’a eu que de petites formes, désormais on souhaite un retour à un format de quatre jours, plutôt dense, avec des programmations de l’après-midi jusque tard le soir entre cinéma et concert et entre le centre-ville et la Belle de Mai. On travaille sur cette édition prévue pour avril 2023.
Sur la collective…
On aime s’appeler Collective parce que nous sommes des femmes et/ou des personnes queers. À l’origine ce n’est pas un festival féministe en soi, mais le fait que chacune soit artiste, performeuse, programmatrice, ou productrice, la question féministe s’est construite petit à petit : notamment dans nos manières de créer ce projet, de faire ensemble, dans l’attention que l’on porte à nos programmations (visibiliser des niches artistiques peu diffusées dans des réseaux traditionnels). L’idée c’est aussi de travailler une programmation qui soit la plus inclusive et qui donne la part belle à des artistes femmes et/ou des artistes dont la provenance est peu visibilisée. On travaille à découvrir des productions provenant d’Afrique ou d’Asie par exemple pour sortir des sillons occidentaux.
On s’est retrouvée en tant que personnes femmes ou queers. Chacune travaillait sa propre construction politique, s’acculturait aussi de son propre côté, on était faisante dans des projets féministes – ou non. Ce sont aussi des questions de posture, de comment défendre le travail d’artistes n’étant pas montré à la juste hauteur de productions réalisées par les modèles dominants.
C’est également de l’ordre de notre relation, en tant que personnes travaillant ensemble, notre manière de penser le monde, mais aussi ce sont des questions qui relèvent de notre fonctionnement, de notre organisation de travail, de la façon d’être attentives aux personnes qu’on coopte au projet, à la manière de présenter ce que l’on désire programmer et aux objets qu’on programme.
On ne revendique pas être un festival féministe, ce qui n’empêche pas qu’au sein de l’équipe des personnes le soient, et soient très impliquées. Il y a également des personnes qui font partie de la communauté LGBTQIA+. De ce fait, ce sont des personnes politisées. Notre statement est donc notre manière de travailler, et de créer du lien entre les artistes, les projets que l’on défend. Les programmations nous permettent de créer une sorte d’horizontalité entre les publics et les artistes et créent aussi des relations de réseaux. On travaille comme un réseau de pair à pair. On rentre dans des réseaux de festivals, de circuits musicaux, qui nous amènent à rencontrer des artistes ou des structures et nous permet des connexions. Ça crée une forme un peu méta, au regard de notre force vive et de notre économie on se déploie, pour toujours revenir sur notre lieu d’action, Marseille. On peut avoir des invitations en Suisse, à Paris, mais de manière générale l’idée c’est de commencer à travailler même à l’international, de construire de la mobilité de programmation comme de la mobilité d’artistes qu’on inviterait.
On n’est pas une entité seule, on est une entité qui vit grâce à des personnes qui ne sont pas toujours présentes à Marseille. Au sein de l’équipe il n’y a pas que des personnes qui vivent à Marseille, certaines vivent à Paris, d’autre voyagent régulièrement, et ainsi chaque personne a son pouvoir d’agir, de créer des connexions, de découvrir de nouveaux projets, tout cela génère des programmations.
À côté, l’idée c’est également d’essayer de développer une petite édition sur un format 2 jours, le temps d’un week-end. On n’a pas encore trouvé de nom mais on essaie de penser un format capsule autour de présentation d’étapes de travail ou de pratiques apprenantes. Il s’agit également de développer des ateliers, autour de l’image, du son, et de travailler des tables rondes et des présentations de travail d’artistes. Nous avions invité des artistes de la scène émergente qui développaient d’autres projets, et on est très enthousiastes à l’idée que ce ne soit pas fini, pas totalement abouti. C’est une manière pour elleux de présenter quelque chose encore en réflexion. Si on y arrive ça pourrait le faire en novembre 2022, sinon 2024.
Sur l’autogestion…
On s’est construit en autogestion, ce qui primait c’était de pouvoir montrer des formes. Les lieux dans lesquels MUFF s’inscrit sont pour nous très précieux en termes de ressources humaines, matérielles et techniques. Tout le travail que nous menons de manière bénévole concerne la programmation, on essaie d’anticiper – au regard des lieux partenaires et des cadres qu’ils nous offrent – combien de recettes nous aurions pour telle proposition. Le modèle s’est construit dans ce sens au début.
Puis on s’est rendu compte que le public nous suivait, ce qui nous permettait de pouvoir pérenniser des formats. On essaie toujours de pratiquer le prix libre qui pour nous est politiquement important à défendre, notamment dans la responsabilité du spectateur·rice à soutenir une production artistique. La billetterie c’est un peu le nerf de la guerre de l’économie du projet, on explique souvent au public ce que l’on va pouvoir faire avec 5€, quelle économie ça va générer : si ça va payer les copies, une partie du projet, des coûts qu’on a pour rémunérer les équipes artistiques etc.
L’idée c’est que le projet se voulait être une proposition artistique accessible pour tous et toutes. Après on a toujours dit que si des personnes souhaitent voir un film ou assister à un concert mais qu’elles n’ont pas l’argent pour, elles peuvent venir voir un membre de l’équipe, on en discute, et généralement on fait rentrer. On se rend compte que le prix libre génère une forme d’équilibre, les personnes qui ont un capital économique mettent plus [que le prix conseillé] et participent à rééquilibrer au regard des personnes qui ont moins de moyen.
Sur le soutien de financeurs publics…
Aujourd’hui on se dit que c’est important de se faire soutenir par des financeurs publics pour pérenniser le festival et commencer à développer d’autres axes, notamment un lieu. On n’avait pas de lieu depuis la création, on travaillait les unes chez les autres, on vient de trouver un atelier à la Belle de Mai qui sera un lieu de travail au long court du projet. Ce sera aussi la possibilité pour les bénévoles de se réunir pour visionner des films etc. Ce lieu c’est la possibilité de pouvoir créer de l’activité notamment pour créer des actions culturelles, et commencer à s’équiper avec un parc matériel et technique pour réaliser notre propre production comme par exemple notre propre chaine de communication jusqu’au print.
C’est également une façon de nous laisser le temps de nous équiper pour pouvoir créer notre propre économie, en créant du merch par exemple, ou en proposant des actions culturelles ce qui pourrait nous permettre d’avoir une petite économie toute l’année
Il y a des idées comme ça qui germent et on constate que l’on aurait besoin de financement pour nous aider sur les projets, à nous donner un peu plus de souplesse sur la manière de programmer les artistes qu’on invite et réussir à s’aligner sur les grilles tarifaires des métiers du spectacle ou du cinéma. Il s’agit aussi de rémunérer les personnes qui s’occupent de la technique. On commence à avoir des forces vives, des bénévoles qui font du son, qui font de la lumière, à terme ce serait important de les rémunérer.
En revanche l’idée c’est de ne pas s’appuyer uniquement sur des subventions, de garder notre autonomie. On regarde aussi ce qui peut être possible avec des sponsors mais je n’y suis pas trop encore, c’est plus complexe. Souvent ils te soutiennent en nature alors que parfois tu as plutôt besoin de soutien numéraire.
C’est une vraie question de se faire identifier par les tutelles.
Sur le bénévolat…
On est tous·tes bénévoles, si on parvient à avoir des subventions l’idée serait de pouvoir réussir à salarier – si on arrive, en temps plein mais ce sera compliqué donc plutôt à mi-temps – la personne qui s’occupe de tout l’aspect administration, comptabilité. C’est clairement le nerf de la guerre, ce sont des tâches très exigeantes et ingrates au regard du travail à fournir en continu et ça mérite salaire.
On est en train de réfléchir à plusieurs manières de développer la rémunération en dehors des artistes, notamment des bénévoles, mais tant qu’on n’a pas de ressources suffisantes ce n’est pas possible, et en soit ce n’est pas quelque chose qui est voulu par les membres de l’équipe. C’est un projet qui politiquement est défendu par chacune mais pour le projet c’est important de valoriser l’investissement de la collective et donc de voir comment il est possible de rémunérer une partie du travail.
Sur le nom…
Le MUFF c’est l’acronyme Marseille Underground Film and Music Festival. Le nom de notre association c’est MeUF qui est aussi un acronyme, le « Marseille experimental Underground Festival ». Aujourd’hui on prend notre indépendance par rapport à LUFF sur nos lignes programmatiques et du fait que tout le monde nous appelle MUFF. On est en train de se dire qu’on va reréfléchir la question de notre nom, pour peut-être rester sur MUFF tout simplement sans expliquer l’acronyme. En réalité ce qui est important pour nous c’est la petite phrase qui définit un peu l’univers : « étrangetés sonores, visuelles et autres variations ». Elle fait partie de notre titrage, donc on va faire un petit travail de brainstorming ensemble sur comment redéfinir ce nom-là.
Sur le futur…
On va concentrer nos énergies sur 2023 pour un festival qui sera la 5ème édition.
Je pense qu’on va travailler avec des artistes qu’on n’avait pas pu inviter sur l’édition avortée et que l’on va faire venir pour l’édition 5.
L’idée c’est d’essayer de travailler des partenariats avec des structures artistiques plus établies à Marseille et de faire des programmations qui nous fassent passer peut-être un step au-dessus – notamment sur l’aspect musical. D’un point de vue cinématographique on est plutôt pointues mais sur l’aspect musical on aimerait bien commencer à entrer dans des noms, des milieux de la musique expérimentale et construire une programmation diversifiée avec aussi bien un·e artiste émergent·e, qu’un·e artiste qui peut tourner dans le monde entier.
Puis on a notre lieu donc il faut qu’on l’investisse, voir comment ça va se déployer dans les années à venir et pourquoi pas devenir un lieu de diffusion sur de petites propositions. Pourquoi pas inviter un·e artiste en résidence – c’est un petit local il fait 30 m2 – faire une restitution d’atelier ou un petit concert. Il y a des choses à inventer.
Ce qui serait vraiment génial c’est que l’on parvienne en tant que collective, à pouvoir bouger, aller à la rencontre d’autres festivals. On a de belles connexions avec Bruxelles et pourquoi pas aller plus loin en Europe ou ailleurs.
Cela dit on commence à peine à se retrouver, on a toutes des vies très intenses de travail. La vie artistique a repris de manière très importante donc cet été on va pouvoir se retrouver, et essayer de réfléchir à nos futurs axes pour les années à venir.